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Art & Photo/Academy · Thèse

[#10] Le point de vue socio-politique, Minseok KIM

by aTELIER 민석킴 2023. 2. 15.

[ Au-delà d’une histoire de l’art - Le point de vue socio-politique ]




Minseok KIM


#10

 

3. Le point de vue socio-politique

          Une fois de plus, au-delà de l’histoire de l’art, regardons l’histoire de la photographie. L’analyse du contexte politique et social semble aussi importante que la compréhension de l’histoire de l’art et du concept d’art populaire. De même que les études des première et deuxième partie de ce chapitre ont été menées en tenant compte de la signification de divers événements extérieurs ou contextes historiques dans la formation du statut de Paris, il faut aussi examiner comment les événements extérieurs affectent l’histoire de la photographie. Il y a lieu de prêter attention au rôle des nouveaux riches particulièrement dans le vieux discours sur l’esthétique de la photographie, aussi vieux que la photographie elle-même. En effet, le fait qu’indépendamment du discours esthétique ils s’intéressent à la photographie pour montrer leur richesse et afficher leurs moyens, avec l’espoir d’intégrer la classe supérieure, est un phénomène remarquable dans l’histoire de la photographie. En conséquence, pour la classe moyenne, les petits-bourgeois en quelque sorte, la photographie devient un substitut à l’art noble. Ce faisant, la photographie et le photo-club prennent respectivement la place du portrait peint et des cartes de visite pratiquées dans les classes supérieures. Alors de nouvelles questions se posent sur la valeur esthétique de la photographie et sur les règles esthétiques de ce qui est noble. Pierre Bourdieu étudie attentivement ce contexte d’un point de vue sociologique. Les deux extraits suivants précisent ce que la classe moyenne attribue à l’acte photographique et ses objectifs sociaux, et ils analysent la tentative de séparer la photographie de sa fonction technique et de l’assimiler à un acte artistique comme la peinture :

 

 

« [...] la signification que les petits-bourgeois confèrent à la pratique photographique traduit ou trahit la relation que les classes moyennes entretiennent avec la culture, c’est-à-dire avec les classes supérieures qui détiennent le privilège des pratiques culturelles tenues pour les plus nobles, et avec les classes populaires dont elles entendent à tout prix se distinguer en manifestant, dans les pratiques qui leur sont accessibles, leur bonne volonté culturelle. C’est ainsi que les membres des photo-clubs entendent à la fois s’ennoblir culturellement en tentant d’anoblir la photographie, substitut à leur portée et à leur mesure des arts nobles, et retrouver, dans les disciplines de la secte, ce corps de règles techniques et esthétiques dont ils se sont privés en refusant comme vulgaires celles qui régissent la pratique populaire(1) ».
« Les mêmes ambiguïtés et les mêmes contradictions se retrouvent, chez les cadres moyens. Fortement enclins à reconnaître à la photographie la dignité d’un art et soucieux, au moins dans leurs propos, de l’affranchir de sa fonction de thésaurisation des souvenirs familiaux, ils rejettent souvent la définition populaire de la photographie qui repose sur une image mutilée de l’objet technique comme automate disponible pour tous les usages traditionnels, récusent l’esthétique réaliste qui est communément associée à cette image, et s’accordent pour admettre que la photographie requiert le même travail que la peinture(2) ».

 

Ce qu’il a tenté d’atteindre par cette approche sociologique n’est pas simplement une analyse des nouvelles questions que posent les règles esthétiques, ni de la tentative de la classe moyenne de remplacer les objets d’art existants par des photographies. En introduisant une subdivision de la classe moyenne, il a en outre essayé de répondre à cette question : en quoi consiste l’acte photographique pour eux ? Qu’en pensent-ils par rapport au système et à la norme existants ? Dans cette perspective, en quoi la photographie est-elle considérée comme un moyen d’expression et d’enregistrement qui correspond au « peuple » ou à « l’art populaire » :

 

 

« Etant donné que, à la différence des activités artistiques pleinement consacrées, comme la peinture ou la musique, la pratique photographique est considérée comme accessible à tous, tant au point de vue technique qu’au point de vue économique, et que ceux qui s’y adonnent ne se sentent pas mesurés à un système de normes explicites et codifiées, définissant la pratique légitime dans son objet, ses occasions et sa modalité, l’analyse de la signification subjective ou objective que les sujets confèrent à la photographie en tant que pratique ou en tant qu’œuvre culturelle apparaît comme une moyen privilégié d’appréhender dans leur expression la plus authentique, les esthétiques (et les éthiques) propres aux différents groupes ou classes, et particulièrement, l’ « esthétique » populaire qui peut, par exception, s’y manifester(3) ».

 

 

          On peut envisager que cette structuration autour de la photographie est non seulement historique mais aussi une idée affirmée tout au long de l’histoire. Cette construction subit des influences sociales, culturelles et politiques. Allen Sekula insiste ainsi, dans son ouvrage Écrits sur la photographie 1974-1986, sur le fait que cette structure déterminée et limitée par les forces culturelles, politiques et économiques, non seulement s’est formée jusqu’à maintenant dans ses rapports avec la société, mais qu’elle restreint aussi continuellement nos capacités à produire et à consommer, ainsi qu’à penser l’image photographique dans le vaste domaine de la vie quotidienne. Voici son excellente analyse :

 

« Ce discours – limité et déterminé par les forces culturelles, politiques et économiques plus vastes auxquelles il contribue – légitime autant qu’il dirige les différents circuits du commerce de la photographie. Il gère paisiblement nos capacités à produire et à consommer l’imagerie photographique. Il les restreint, le plus souvent sous couvert d’une liberté sémiotique apparemment illimitée et d’un jugement esthétique intemporel, [...] Contenu dans les textes académiques et « populaires », dans les livres, dans les journaux, les magazines, dans les dispositifs institutionnels et commerciaux, dans le design de l’équipement photographique, dans l’enseignement, dans les rituels sociaux quotidiens, et – à travers les effets de ces contextes – dans les photographies elles-mêmes, ce discours produit une force à la fois matérielle et symbolique [...] et cette idéologie de la représentation, historiquement spécifiques, ne doit pas nous faire oublier que d’autres idéologies discursives s’y concrétisent – y trouvant à la fois vérité et satisfaction. [...] Un aspect majeur de l’association de la photographie et du pouvoir réside là-dedans. Par ailleurs, comme dans toute culture qui naît d’un système d’oppression, les discours les plus puissants dans la vie quotidienne sont ceux qui émanent du pouvoir et incarnent une autorité institutionnelle. Pour nous aujourd’hui ces voix affirmatives et toutes puissantes s’expriment d’abord en faveur du Capital, et accessoirement en faveur de l’État. Cet essai veut explorer concrètement les incohérences et les faiblesses de ce réseau de liens entre langage et pouvoir(4) ».

 

 


 

 

          Comme le dit Bourdieu, « Parce que la photographie se prête fort mal, au moins en apparence, à l’étude proprement sociologique(5) », ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que la discussion semble s’être étendue au-delà d’un simple débat esthétique limité à certains domaines. Cependant, ces excellentes études – dépassant l’étude générale de la photographie et de l’histoire de l’art et revenant à l’histoire de la photographie, tout en élargissant la sphère du discours – nous fournissent une analyse pertinente du point de vue politique et social. En reprenant l’expression de Paul-Louis Roubert, nous pouvons considérer que le fait d’écrire l’histoire de la photographie dépend de l’extériorité de la photographie. Il est possible de dire qu’elle est conditionnée par ce genre de discours(6). En d’autres termes, cela signifie que la discussion autour de la photographie peut se positionner indépendamment, enfin, en dehors de l’histoire de l’art.

          Par conséquent, il est essentiel de réfléchir aux liens existants entre la peinture, la photographie et l’art populaire, et d’examiner les critères permettant d’essayer de comprendre la photographie au-delà de l’histoire de l’art. En effet, l’approche de cette étude peut être rappelée comme un tournant du paradigme de la photographie, qui a été pendant longtemps considérée comme une technologie industrielle sans rapport avec l’art ou un acte vulgaire du peuple dans le vaste discours de la peinture. Et au milieu de tout cela, se trouve Paris, la ville moderne, le centre de la photographie et de l’avant-garde.

 

 

 

 

 (Ensuite) - #11. Le modernisme, la photographie et les avant-gardes - La ville de la vie moderne

 

 

(1) Pierre Bourdieu, Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographieop. cit., pp. 27-28.

(2) Ibid., p. 91. Bourdieu souligne supplémentairement dans son annotation : « Les cadres moyens reconnaissent à la photographie la dignité d’un art plus souvent que les artisans et les commerçants, de même qu’ils s’opposent plus fréquemment aux propositions qui enferment une dévalorisation de l’image ou de la pratique photographique ».

(3) Ibid., pp. 25.

(4) Allan Sekula, « Trafics dans la photographie » in Écrits sur la photographie 1974-1986, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2013, p. 181. Cité par Paul-Louis Roubert pendant son cours, « Photographie, art populaire ? », op. cit.

(5) Pierre Bourdieu, Un art moyen : essai sur les usages sociaux de la photographieop.cit., p. 28.

(6) [Note prise pendant le cours], Paul-Louis Roubert, « Photographie, art populaire ? », op. cit. « Dans cette perspective, les relations entre la photographie, le populaire, et l’art populaire rentrent dans un rapport avec l’extériorité de la photographie. La pratique de la photographie est conditionnée par les discours ».