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Art & Photo/Academy · Thèse

[#06] Le Folklore : Paris, lieu de réémergence de l’art populaire, Minseok KIM

by aTELIER 민석킴 2022. 12. 21.

[ Le Folklore ]





Minseok KIM


#06

Le Folklore

 

De plus, que peut-on considérer comme l’origine de l’art populaire ? Il n’est pas nécessaire de retracer l’histoire de la Grotte de Lascaux pour étudier le statut de Paris dans l’entre-deux-guerres. Nous pouvons observer une étude folklorique proche de l’histoire du modernisme. Le folklore désigne « l’ensemble des productions collectives émanant d’un peuple et se transmettant d’une génération à l’autre par voie orale et par imitation. Ces arts et traditions populaires comprennent la culture littéraire (contes, récits, chants, musiques et croyances), figurative (rites, costumes, danses, décors, représentations), et matérielle (habitation, outillage, techniques, instruments, etc.(1) ». Étant donné que le folklore est ainsi en relation avec le patrimoine local ou avec la culture des populations locales et qu’il figure souvent dans l’espace du discours politique et social, il peut aussi être pris en considération dans une réflexion sur l’art populaire. En outre, l’étude du folklore contribuera également à approfondir celle de la notion d’étrangeté et d’exotisme, ainsi que l’identité culturelle qui apparaît dans les œuvres des artistes que nous examinerons.

 

 

1. La naissance des études folkloriques

          Un grand architecte français, Le Corbusier a dit dans un entretien que le folklore est une « fleur des traditions » et qu’il est « un objet d’étude » et non pas « d’exploitation »(2)Alors, qu’est-ce que le folklore ? Nous pouvons considérer que les études folkloriques ont commencé, d’une part avec les travaux des encyclopédistes français au XVIIIsiècle et, d’autre part, avec ceux des préromantiques allemands et anglais qui cherchaient à retrouver les sources de leur culture singulière. Tous les acquis recensés par les encyclopédistes et les connaissances des techniques, appelées par Diderot « arts mécaniques(3) », sont donc décrits minutieusement et préfigurent en quelque sorte la démarche ethnographique(4). De ce point de vue, afin de saisir les origines du folklore, il est utile de rappeler ce qui a été analysé auparavant : le rapport entre l’anthropologie et l’art populaire, ainsi que l’utilisation du concept et de son contexte(5). D’ailleurs, ce qu’on appelle l’ethnographie, ou plutôt les études folkloriques ont enrichi en particulier la culture et l’art de leurs propres pays. A la fin du XIXsiècle, un nouveau regard surgit chez quelques artistes et d’après Jean-Marie Gallais, ils perçoivent le folklore comme une expérience de retour aux sources(6). Deux lettres de Paul Gauguin, écrites en 1888 et citées par Jean-Marie Gallais dans son texte, Portrait de l’artiste en folkloriste, reflètent son attitude face à ce qui est folklorique(7) :

 

 

« J’aime la Bretagne, j’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture(8) ».
« Je crois avoir atteint dans les figures une grande simplicité rustique et superstitieuse(9) ».

 

 

2. L’exotisme et l’intérêt pour l’intérieur du territoire français

          Le folklore fascine bien d’autres artistes de la modernité. En particulier, Paul Gauguin et son ami Paul Sérusier qui étaient épris de l’idée exotique de l’origine, de la source, et dont les paysages sauvages et les contes mystiques provoquent en effet l’inspiration ; André Breton chef de file du surréalisme et Pablo Picas, un des artistes d’avant-garde. Ainsi, Breton exprime souvent ses idées sur le folklore et évoque Gauguin comme celui « qui est de ceux qui ont battu en brèche les apparences [...] pour remonter jusqu’à la sève(10) ». En outre, nous pouvons avec Jean-Marie Gallais faire ce constat concernant l’influence du folklore chez les artistes de la modernité : « Les surréalistes se voient volontiers comme les descendants des bardes et des enchanteurs, porteurs de cette âme celte dont les survivances s’expriment dans le folklore(11). Il n’est pas étonnant de constater que les artistes de la modernité qui se tournent vers le folklore ont presque tous la même curiosité et la même appétence pour l’art que l’on nomme alors « primitif » : africain, océanien ou amérindien(12) ». Ainsi, l’univers du folklore a éveillé l’intérêt de l’avant-garde.

         

Pour aller plus loin dans cette partie, il est nécessaire de se pencher également sur le concept d’exotisme. D’où vient ce terme ? Nous rappellerons l’ère des Grandes Découvertes entre les XVe siècle et XVIIIe siècle. Pendant cette période, les compétences en matière de navigation se développent et elles ont pour conséquence la rencontre des différentes cultures. Les inconnus et les étrangers fascinent et attirent les Occidentaux. Leur technologie perfectionnée leur permet d’occuper une position dominante face à une culture plus naïve, et les Occidentaux collectent et déplacent des objets qui étaient pour eux assez mystérieux et étrangers, disons exotiques, par rapport à leur pays d’origine(13) – On peut dire que c’est l’essence du concept d’exotisme. De plus, cette histoire va entraîner lato sensu l’avènement de l’impérialisme et tout cela vient de l’occidentalisme. Par conséquent, ce concept ne doit pas être apprécié séparément de ceux de colonialisme, d’impérialisme, d’occidentalisme, etc. À cet égard, on peut évoquer une excellente analyse qui représente ce déroulement historique et en inclut l’interprétation critique, comme par exemple le malaise de l’ethnographie dans l’histoire de l’art, Malaise dans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art du XXsiècle de James Clifford(14). Citant un ouvrage de Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques(15), il critique le fait qu’avec l’engouement pour ce qui est exotique, la culture authentique devienne tout au plus de l’« art » ou du « folklore » collectionnable, et cette présence de l’eurocentrisme indique la fin de l’histoire. Voici ce qu’il écrit :

 

« Selon le point de vue de Lévi-Strauss [...] les différences humaines authentiques se désintègrent, disparaissent, dans une culture expansive du produit, pour devenir, dans le meilleur des cas, de l’« art » ou du « folklore » collectionnable. Le grand récit de l’entropie et de la perte, dans Tristes tropiques, exprime une triste et fatale vérité. Mais trop tranché, d’un eurocentrisme discutable, il se situe à la « fin » d’une histoire humaine unifiée, où les historicités locales du monde sont rassemblées et commémorées(16) ».

 

 

          Ce sont la culture exotique et les paysages inconnus, dits étrangers, qui ont enthousiasmé les folkloristes et les artistes du primitivisme. Cependant, malgré l’étymologie du terme « exotique », il ne signifie pas quelque chose qui se trouve « à l’étranger ». Leur intérêt porte sur l’intérieur du territoire français, autrement dit, sur l’étrangeté et l'exotisme au sein de leur propre pays. Or, comme le décrit bien McCauley, le folklore, qui était une catégorie linguistique et nationaliste identifiée par les romantiques au début du XIXsiècle avec les contes de fées, se retrouve peu à peu isolé par contraste avec l’industrialisation et la mécanisation(17). Enfin, voici un extrait écrit par Jean-Marie Gallais, le commissaire de l’exposition « Folklore » et le conservateur du Centre Pompidou-Metz, dans son catalogue. En partant de l’argument de l’intérêt pour l’exotisme qui détourne le regard de l’extérieur vers l’intérieur, il explique bien le contexte et la façon dont le folklore amène au modernisme :

 

« Peu à peu, le Grand Tour à la découverte des richesses archéologiques de l’Europe, passage obligé de tout artiste au XVIIIe siècle, est remplacé par un autre périple initiatique prenant comme modèle les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, publiés par Charles Nodier et le baron Taylor entre 1820 et 1878. Il s’agit de changer d’optique, de ne pas aller si loin dans le temps, ou si loin sur le globe, pour se faire plutôt l’explorateur d’un monde contemporain dont les habitants, souvent des paysans, ont développé un style de vie et de pensée différent de la culture dominante, reflet d’un passé profond qui aurait survécu aux temps modernes et à l’industrialisation(18) ».

 

 

 

(Ensuite) - #07. La mythologie nationaliste : Paris, le lieu de réémergence de l'art populaire

 

 

(1) Dit-il « Folklores, fleur des traditions. Fleur... Par fleur, on veut exprimer l’épanouissement, le rayonnement de l’idée motrice... Et non pas inviter à copier des fleurs, en peinture ou en sculpture, en broderie ou en céramique. Le folklore, un objet d’étude et non pas d’exploitation ». Cf. Le Corbusier, « Entretien avec les étudiants des écoles d’architecture », in La Charte D’AthènesParis, Le Seuil, 1971, pp. 168-169. Cité par Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). in « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, Cat. exp. (Centre Pompidou-Metz, 21 mars.-21 sept. 2020, Marseille, Mucem, 20 oct. 2020.-22 févr. 2021). Éd. La Découverte, Paris, 2020, p. 199.

(2) Jean-Luc Martine, « L’article Art de Diderot : machine et pensée pratique », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie [En ligne], 39 | 2005, mis en ligne le 04 décembre 2008, consulté le 21 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/rde/316. Voir le résumé de cet article comme référence de cette notion « arts mécaniques », décrit-il « L’article art de Diderot participe d’un premier mouvement de l’écriture encyclopédique qui s’inscrit dans un propos délibérément critique, non seulement vis-à-vis de la constitution des savoirs hérités, mais aussi de certaines tendances des Lumières, illustrées par les présupposés de la mécanique mathématique de D’Alembert. La place accordée à l’idée de machine est particulièrement révélatrice de la manière dont l’espace où « machine » voisine avec « prodige » peut être le lieu d’une réévaluation du rapport de l’esprit avec le savoir. Entre la rationalisation abstraite envisagée par D’Alembert, qui entend substituer la clarté des idées simples au mathématique du réel. Ainsi, ce qui importe vraiment dans art, c’est moins la réhabilitation des arts mécaniques, que l’instauration d’un rapport au savoir différent de celui dont résulte, à titre de conséquence secondaire, l’ancien mépris du méchaniqueLe philosophe selon Diderot est un artiste et la pensée est un art ».

(3) Cf. [Note prise dans le cours], Paul-Louis Roubert, « Photographie, art populaire ? », op. cit.

(4) Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 11.

(5) Ibid.

(6) Paul Gauguin, lettre à Émile Schuffenecker [fin février-début mars 1888], cité in Gauguin, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, Éditions de la RMN, 1989, p. 82.

(7) Paul Gauguin, lettre à Vincent Van Gogh [ca. 26 septembre 1888], Amsterdam, Van Gogh Museum, inv. nos. B847 a-d V/1962 (l’artiste souligne l’adjectif).

(8) Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 14. « Les artistes sont d’abord observateurs de l’art populaire et ils sont très nombreux, comme Vassily Kandinsky, Pablo Picasso ou El Lissitsky, [...] ».

(9) Ibid., p. 12.

(10) André Breton, L’Épée dans les nuages. Degottex, Paris, 1933, livret de l’exposition organisée à L’École scellée. Cité par Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). in « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 12.

(11) Cf. Yves Vadé, « L’ombre de Merlin. André Breton et la pensée celtique », Pleine MargeCahiers de littérature, d’arts plastiques et de critiqueÉditions Peeters-France, no 42, décembre 2003, p. 153-180. Cité par Jean-Marie Gallais (dir.). in « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 12.

(12) Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 12.

(13) À cet égard, si on en parle avec la perception critique, on peut utiliser ce genre de l’expression « piller, voler, rafler, etc. » à la place à la place de « collecter ».

(14) James Clifford, Malaise dans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art du XXsiècle, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1996. Nous pouvons viser cet ouvrage pour établir la notion de l’exotisme et le point de vue critique remarquable dans son histoire générale.

(15) Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, coll. « Terre Humaine », 1955. Cité par James Clifford, in Malaise dans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art du XXsiècle, op. cit.p. 22.

(16) James Clifford, Malaise dans la culture. L’ethnographie, la littérature et l’art du XXsiècleop. cit., p. 22.

(17) Anne McCauley, « En-dehors de l’art », op. cit.

(18) Jean-Marie Gallais et Marie-Charlotte Calafat. 2020 (dir.). « Folklore ». Artistes et folkloristes, une histoire croisée, op. cit., p. 11.