Art & Photo/Academy · Thèse

[#05] La nécessité d’étudier l’art populaire : Paris, lieu de réémergence de l’art populaire, Minseok KIM

aTELIER 민석킴 2022. 12. 16. 07:11

[ La nécessité d’étudier l’art populaire ]





 Minseok KIM


#05

Paris, lieu de réémergence de l'art populaire

Paris est la ville qui devient le centre de l’art et de l’avant-garde. Mais comme il est impossible de définir la modernité en énumérant juste quelques arguments, il est aussi difficile de distinguer cette ville et son statut en généralisant seulement à partir de certains événements historiques. Afin d’observer les points qui affectent le statut de la ville de Paris de manière plus détaillée dans l’histoire de l’art et d’élargir la réflexion à un autre champ d’étude, il est nécessaire de considérer son origine et sa genèse. Par conséquent, cette partie traitera essentiellement du contexte et de l’espace discursif, tels que le folklore et la mythologie nationaliste, en supposant que Paris n’est pas seulement le centre de l’art, mais aussi le lieu de la réémergence de l’art populaire.

 

 

La nécessité d'étudier l'art populaire

 

En quoi pouvons-nous supposer que Paris est un lieu de réémergence de l’art populaire ? Et quelle est la nécessité de cette approche ? Afin d’éviter la réduction du contexte fertile du statut de Paris et pour permettre de l’analyser dans un environnement favorable et notamment de s’interroger sur le lien avec la culture photographique, il semble nécessaire de réfléchir sur l’art populaire.

          Toutefois, l’objet de cette étude n’est pas de définir l’art populaire comme la photographie, mais la photographie peut au moins être évoquée comme faisant partie de la catégorie de l’art populaire. En particulier, nous pouvons nous accorder sur la relation étroite qui existe entre la photographie et l’art populaire. Puisqu’il faut commencer par définir l’art populaire, examinons d’abord en quoi il consiste, puis comment il se situe dans l’histoire de l’art. Ensuite, pour prendre en compte le moment où le statut social du public a explosé, soi-disant l’ère du modernisme après la Révolution, regardons le rapport entre l’art populaire et l’invention de la photographie.

 

1. Qu'est-ce que l'art populaire ?

          En essayant de définir ce terme, nous pouvons observer d’abord l’histoire et l’usage de ce concept. Autrement dit, il faut voir dans quelle catégorie il s’inscrit et dans quelles conditions il existe. En effet, il peut être considéré comme faisant partie du champ ethnographique, une des branches de l’anthropologie(1), qui a surgi à l’occasion des rencontres des différentes ethnies au XVIsiècle, survenues à la suite des expéditions scientifiques. Étant donné que l’ethnologie désigne l’étude des populations primitives et de leur culture, il n’est pas difficile de deviner pourquoi le terme d’art populaire est placé dans cette catégorie. L’art populaire est ce qui reflète bien le mode de vie et la culture d’une communauté, d’une ethnie et d'une période. Il est considéré comme une sorte d’intermédiaire dans leur exploration et leur recherche(2) . Alors, à quelles conditions ce concept existe-t-il ? Ici, le relativisme culturel devrait être discuté. En effet, lorsque l’on prend en compte deux aspects inévitables du champ de l’ethnographie – l’altérité et la relativité – l’étude de l’art populaire peut être également considérée comme l’observation d’autres cultures avec sa propre culture comme seul modèle de référence(3). Comme l’écrit Fagnart, l’anthropologie « a engagé la question de l’autre. L’autre est alors perçu comme exotique(4) ». En d’autres termes, l’étude ethnographique est l’intérêt qu’une culture porte à une autre culture. La culture cible provoque ici comme une sorte de curiosité et d’intérêt pour l’exotisme. En outre, ce phénomène de l’exotisation, bien décrit par l’étude féconde de Paul-Louis Roubert sur l’art populaire et la photographie, apparaît non seulement dans l’écart entre les différentes cultures, mais aussi dans celui de l’espace-temps au sein des mêmes cultures ou entre des classes distinctes(5).

 

          D’un autre côté, la nécessité de séparer l’art populaire selon deux perspectives s’impose. En effet, en général, le concept de pratique artistique et celui d’esthétique ne peuvent pas toujours être confondus. Autrement dit, la pratique artistique n’implique pas l’esthétique et vice versa. Par exemple, on ne peut pas dire qu’une valeur esthétique est donnée à toutes les pratiques artistiques, et les pratiques sans intention artistique peuvent entrer dans l’espace discursif de l’esthétique. Substituant ce principe au concept d’art populaire, nous pouvons distinguer d’un côté la pratique populaire et de l’autre l’esthétique populaire. Cette distinction est importante particulièrement dans l’espace discursif sur la photographie et l’art. Cependant, étant donné qu’à cet égard l’analyse et l’interprétation d’un point de vue complexe doivent être examinées, nous en traiterons plus tard. Dans la partie suivante, ces données ci-dessus nous permettent d’éviter des erreurs d’analyse sur l’influence et l’utilisation de l’art populaire, un concept subordonné à l’étude anthropologique et un concept discutable de deux points de vue dans l’histoire de l’art : la pratique populaire et l’esthétique populaire.

 

 

2. Sur l'histoire de l'art ou de la photographie

          En Europe au XVIIIsiècle, notamment après la Révolution française, l’art populaire commence à être apprécié plus sérieusement et diversement à l’occasion des bouleversements de la société stratifiée. Le peuple tente de s’approprier la politique, la philosophie, l’art et l’histoire, ce qui conduit les élites à porter leur attention à la culture populaire. Cette grande mutation suscite l’intérêt pour l’étude de l’ethnographie, de la culture, de l’histoire et aussi pour celle de l’art populaire, c'est-à-dire du folklore. Dans ce contexte, l’art populaire est, soit dévalorisé à cause de son caractère maladroit et de son absence de style par exemple, soit valorisé pour son intérêt historique, sa naïveté et sa sincérité authentiques.

          Dans le cas des États-Unis, il semble que la définition et l’introduction de ces termes se fasse largement à l’occasion des initiatives de certains collectionneurs d’art ou de grands musées. En fait, à l’occasion de l’organisation de deux expositions, l’une au Newark Museum en 1931, l’autre au Museum of Modern Art (MoMA) en 1932, Holger Cahill définit l’art populaire comme « l’art de réaliser des objets à la main(6) ». À cet égard, en observant le fait que l’art populaire accède à la dignité muséale dans les années 1930 grâce à ces deux expositions, Anne McCauley souligne que, notamment pour le rapport entre la production photographique et l’art populaire, sa définition a interdit l’entrée des productions non réalisées à la main dans la sphère de l’art populaire avant 1986 :

 

 

« [...], Cahill empêchait l’introduction des objets faits par des machines, donc les photographies. Le public allait devoir attendre 1986 pour voir l’introduction de photographies amateurs dans une exposition d’art populaire au Museum of American Folk Art à New York(7) ».

 

 

Ainsi, la définition de l’art populaire et le discours sur son concept figurent dans un contexte hybride. Même si l’on limite le champ d’étude à l’histoire de l’art, il est difficile d’exclure les connexions organiques avec d’autres domaines, tels que la sociologie et la politique, et elles peuvent apparaître sous d’innombrables formes différentes. Ainsi, une disposition approximative de la définition d’un terme ou de l’utilisation d’un concept est aussi importante que les contenus de ce qu’on observera par la suite.

 

 

(Ensuite) - #06. Le Folklore : Paris, lieu de réémergence de l’art populaire

 

 

(1) Quand on examine ce terme, il est nécessaire de distinguer ces trois champs : l’ethnographie, l’ethnologie et l’anthropologie. Voici, une description rédigée par Claire Fagnart, qui présente une excellente analyse sur le rapport entre l’art et l’ethnographie : « De l’ethnographie à l’ethnologie puis à l’anthropologie, il semble y avoir une intensification du caractère théorique de la recherche. L’ethnographe constitue, à partir d’enquêtes de terrain, un fond documentaire ; l’ethnologue analyse et interprète ces documents, l’anthropologue théorise une conception générale de l’homme, en relation avec sa culture. Les frontières entre ces trois champs d’étude sont donc aisées à traverser (un même individu peut être tour à tour ethnographe, ethnologue et anthropologue). L’expression « art ethnographique » s’applique à des pratiques artistiques de type documentaire plutôt qu’à des pratiques artistiques de type expressif ». Claire Fagnart, « Art et ethnographie », Marges [En ligne], 06 | 2007, mis en ligne le 15 octobre 2008, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/marges/829 ; DOI : 10.4000/ marges.829 

(2) On peut citer la définition de l’art populaire de Richard Hoggart, connu pour son analyse de la culture pauvre, décrit-il « La passion du petit détail dans la description des gens et de leur condition est le premier trait qu’il faut prendre en considération pour comprendre l’art des classes populaires. L’art populaire est fondamentalement un art qui vise à montrer (par opposition à un art d’analyse ou d’investigation) : il met en scène ce qui est déjà connu et bien connu, partant du principe que la vie humaine est passionnante en elle-même. Son objet de prédilection, c’est la vie en ses formes familières et immédiatement reconnaissables. Sa vocation est d’abord celle du miroir, même s’il est capable de tous les fantastiques. Enfin, il aime à s’aider de quelques leçons morales, simples mais fortes »Richard Hoggart, La culture du pauvre, trad. de l’anglais par Jean- Claude Garcias et Jean-Claude Passeron, Paris, Les éditions de Minuit, 1970, p. 166.

(3) Pour appuyer ce principe, on peut examiner une description de Marc Augé, cité par Claire Fagnart. Soulignant que « L’anthropologie ne cherche pas tant à représenter l’autre comme individu qu’en tant qu’il s’inscrit lui-même dans une culture », Fagnart cite la définition de l’anthropologie par Marc Augé : « La recherche anthropologique traite au présent de la question de l’autre. La question de l’autre n’est pas un thème qu’elle rencontre à l’occasion. Il est son unique objet intellectuel ». Ibid., p. 11. CfMarc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p. 28.

(4) Claire Fagnart, « Art et ethnographie », op.cit. p. 11. Elle adopte cette expression pour décrire la colonisation, mais nous pouvons l’appliquer même au moyen d’approche anthropologique.

(5) Il décrit « Et même à l’intérieur d’une ethnie, deux types de populations se divisent, se distinguent : une population centrale, constituée de lettrés, de clercs, d’artistes et de savants (partie de l’élite) et une population périphérique, constituée d’illettrés, et de non savants (partie analphabète). [...] la partie centrale va s’intéresser à l’autre partie. La partie périphérique de la société devient exotique pour la partie cultivée, lettrée. On retrouve le même réflexe de découverte qui se focalise sur des populations lointaines sur les populations proches (exclues de la culture centrale) devenues à partir d’un moment donné exotiques par rapport à celui qui observe. Il existe toujours le phénomène de l’exotisation d’une population même à l’intérieur d’un territoire. Les régions périphériques deviennent ainsi des objets ethnologiques ». [Note prise dans le cours], Paul- Louis Roubert, « Photographie, art populaire ? », op. cit. Il ne manque pas non plus l’analyse qui affecte le relativisme culturel, en résumant que « le relativisme culturel est la thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues qui seraient transcendantes et devaient être comprises et analysées que du point de vue de leur culture. Il s’oppose à l’universalisme et à l’ethnocentralisme », « L’ethnocentralisme désigne la tendance à privilégier le groupe ethnique qui détermine l’autre et à en faire le seul modèle de référence ».

(6) Holger Cahill, American Folk Art. The Art of the Common Man in America, 1750-1900, New York, Museum of Modern Art, 1932, p. 3.

(7) Anne McCauley, « En-dehors de l’art », Études photographiques, 16 | 2005, 50-73. On peut également citer son annotation remarquée pour cette partie, dit-elle « Elizabeth V. Warren déclare dans un catalogue en 1986 que pour la première fois les photographies étaient intégrées comme forme d’art populaire. Cependant, elle continuait à prétendre que tout photographe amateur n’est pas forcément un artiste, qu’il lui faut posséder des qualités esthétiques : “composition, plan, vision d’ensemble et maîtrise de ce moyen d’expression - le tout devant être présent dans une œuvre d’art populaire réussie. De plus, le photographe, comme tout artiste populaire, fait partie de la communauté, au sens large, qu’il enregistre : contrairement à beaucoup de bons artistes, il partage, avec ses modèles, les mêmes valeurs sociales et la même éthique” Robert Bishop, “Introduction. Between Two Wars”, in Jean Lipman, Elizabeth V. Warren, Robert Bishop, Young America. A Folk-Art History, New York, Museum of American Folk Art, 1986, p. 11 ».